La Marine nationale va accélérer sa préparation au combat naval de haute intensité
En novembre 2018, l’amiral Christophe Prazuck, alors chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] avait dévoilé le plan stratégique « Mercator » afin de tirer pleinement parti de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 et de se préparer aux défis des années 2030.
Décliné en quatre « amers » [points de repère fixes pour la navigation maritime, ndlr], ce plan mettait l’accent sur la nécessité de disposer d’une marine de « combat » et « d’emploi », à la pointe de l’innovation et qui comptait sur ses marins. Et il a donné lieu, depuis, à plusieurs réalisations, comme l’organisation d’entraînement de haute intensité, des déploiements dans des zones d’intérêts ou disputées, la création de pôles d’innovation ou encore le passage au double équipage ppur certaines unités, en particulier les frégates multimissions.
Cela étant, il a été publié, la semaine passée, une actualisation de la Revue stratégique de 2017, alors que la LPM en cours doit être revue d’ici la fin de cette année. Pour rappel, ce document a notamment insisté sur le « durcissement de la compétition entre puissances », l’extension des champs de conflictualité et l’hypothèse d’un affrontement direct qui « ne peut plus être ignorée. »
« Les tensions actuelles et les ruptures possibles nous imposent donc de nous préparer à des scenarii ‘d’engagement dans un conflit majeur’ et de poursuivre la remontée en puissance de nos capacités comme l’adaptation de notre posture générale », est-il souligné dans cette Revue stratégique actualisée.
La Marine nationale n’aura donc pas tardé à prendre la mesure de telles conclusions. Aussi a-t-elle publié, le 29 janvier, un document intitulé « Mercator, Accélération 2021 » [.pdf].
« Pour la Marine, cette accélération [des mutations stratégiques] se traduit militairement par le retour de la confrontation en mer, dont l’expression extrême, le combat naval, a retrouvé sa place dans le champ des possibles. Elle se traduit également par la nécessité d’articuler de nouveaux domaines de lutte [cyber, spatial, info, …] avec nos opérations aéromaritimes. Pour ne pas subir de déclassement, la Marine nationale doit ainsi accélérer la mise en œuvre du plan Mercator », est-il expliqué dans l’introduction.
Et dans son mot de présentation, l’amiral Pierre Vandier, son actuel CEMM, dit vouloir une « marine de guerre » résiliente, en mesure de « remporter un combat de haute intensité », qui soit « parfaitement intégrée aux autres armées, opérant de façon synchronisée dans tous les milieux [terre, air, mer, espaces exo-atmosphérique et cybernétique] et dans tous les champs [informationnel et électromagnétique] tout en étant « interopérable avec nos principaux alliés » et « mettant en oeuvre des technologies lui donnant un avantage tactique et stratégique. »
Pour cela, le CEMM compte s’appuyer sur des « équipages fiers de servir, développant tous leurs talents » et « reposant sur des marins aguerris, armés d’une solide force morale et développant sans cesse leurs compétences. »
La LPM 2019-25 « nous permet de retrouver une plus grande cohérence et davantage de liberté d’action. Nous devons chercher, collectivement, à conserver une capacité d’initiative sur nos compétiteurs dans le domaine des affrontements conventionnels symétriques, comme dans celui des actions en zones grises », conclut l’amiral Vandier.
Cette accélération du plan Mercator se déclinera en neuf projets, qui seront mis en oeuvre dès 2021, dans trois domaines, qui sont le combat, l’innovation et les ressources humaines.
S’agissant de la « marine de combat », il est question d’intensifier la préparation opérationnelle afin de « mener et gagner des combats navals », tout en développant de « nouveaux concepts et tactiques », adaptés « aux nouvelles menaces et aux nouveaux moyens en service dans la Marine. »
Cela passera notamment par des « entraînements majeurs complexes réunissant les quatre composantes organiques », dans le but « d’éprouver les forces aéronavales dans des conditions encore plus
proches de l’engagement symétrique multidomaines réel, dans un environnement interarmées et interalliés. »
Le second projet de cet axe visera à poursuivre, voire amplifier, l’effort d’intégration « multi-milieux et multi-champs » de la Marine, laquelle aura à contribuer aux travaux interarmées et interministériels portant sur la conflictualité dans les zones grises et dans le champ des perceptions. » En outre, la maîtrise des fonds marins sera désormais un « domaine prioritaire », qui « fait déjà l’objet d’une réflexion stratégique et d’études capacitaires qui seront poursuivies activement. » Et une attention particulière sera portée aux capacités dédiées à la sécurité environnementale, « adaptées en l’évolution des enjeux écologiques. » Le document parle par exemple de « menace éco-terroriste ».
Enfin, toujours dans ce thème, la Marine veut stimuler la réflexion stratégique dans ses rangs, car il est « essentiel de regarder au-delà de l’horizon » pour « anticiper les évolutions ou ruptures géopolitiques et technologiques. » Ainsi, la « production écrite des marins sera encouragée, accompagnée et valorisée » tandis que les périodes de formation en école devront notamment être mises à profit pour stimuler la pensée navale et développer les réflexions tactique, stratégique et capacitaire. » Et le recours aux « jeux de guerre » [wargaming] et à la simulation sera accru.
S’agissant du second « amer », c’est à dire l’innovation, le document note que les « programmes navals mondiaux s’orientent vers la robotisation et l’autonomisation », lesquels devraient « profondément modifier le visage des opérations aéromaritimes dans les décennies à venir. » Et d’ajouter : « Les urgences du moment présent ne doivent pas masquer les défis de demain, au risque de voir notre Marine subir un déclassement militaire. »
Beaucoup de choses ont déjà été faites, en peu de temps, pour favoriser l’innovation. Désormais, la Marine souhaite accélérer la prise en compte des avancées technologiques « en s’appuyant sur un resserrement des liens avec les entreprises innovantes » et en cherchant une « plus grande synergie » entre ses « différents L@bs », dont les moyens seront par aillerus « renforcés ». Et les « initiatives
prometteuses seront mises à l’honneur et soutenues pour en faciliter le passage à l’échelle. »
Il est aussi question de mettre le turbo sur la numérisation, la « maîtrise des données », dans tous les domaines [renseignement, MCO, analyses, etc] étant une « condition incontournable de la supériorité et de la victoire au combat. » Une « Direction des Systèmes d’Information et du Numérique » sera donc créée et la montée en puissance Centre de Service de la Donnée Marine sera accélérée, avec, en ligne de mire, l’exploitation de « datacenters » embarqués. Le projet « AXON@V », qui vise à mettre en réseau les forces afin de faciliter le partage et l’exploitation des données pour obtenir une supériorité en opérationnelle, sera amplifié.
Toujours dans le domaine de l’innovation, la Marine entend accentuer ses efforts en matière de veille sur les technologies dites de rupture [drones, armes à énergie dirigée, etc] afin de « rester dans la course technique. »
Quant aux ressources humaines , l’objectif est de « dépasser la seule gestion des qualifications et des compétences » et de « garder pour amer de référence la progression professionnelle de tous les marins. »
« Le retour possible des engagements de haute intensité à la mer impose de préparer nos marins à affronter des situations qui ont été peu rencontrées par notre Marine depuis deux générations. Au premier choc, notre ennemi devra trouver face à lui des équipages combatifs, aguerris, armés d’une solide force morale et d’une grande intelligence émotionnelle, commandés par des cadres charismatiques et audacieux », insiste le plan Mercator « accéléré ».
Des changements dans l’organisation et les moyens de formation sont annoncés [mais pas encore précisés…] et il est prévu de « renover la gestion du personnel » en « s’inspirant des méthodes de management les plus modernes. »
Photo : Marine nationale
Thierry