UNE QUARANTAINE DE PATRIOTES PASSENT EN HOLLANDE GRÂCE À UN SOLDAT ALLEMAND !
Joseph Zilliox
Un héros à Devant-le-Pont en décembre 1916
Il s'appelle JOSEPH ZILLIOX.
Il est né en Alsace, une région qui, comme la Lorraine depuis que la France a perdu la guerre de 1870, a été annexée à l'empire allemand. Mais les habitants ont gardé une âme de français et beaucoup ont émigré plus loin, en France. Des familles sont ainsi coupées en deux. Offendorf, petite cité en bord du Rhin, un village de bateliers. C'est là que Joseph Zilliox est né le 28 juin 1888, au milieu des chênes et des saules, dans une famille très catholique implantée là depuis des générations. Il a quatre frères et une sœur, la mère est morte quand ils étaient jeunes. Il suit des études et son père batelier l'emmène dans ses voyages, en Hollande et en Belgique, en particulier dans la région de Liège. Chez les Zilliox, on a le culte du souvenir comme quasi tout le village qui garde cachés en reliques un étendard centenaire qui date de Napoléon et l'écharpe tricolore du dernier maire français. En 1914, deux de ses frères ont émigré vers Paris. Joseph lui-même y réside depuis son mariage. En août 1914, il se trouve à Offendorf quand la guerre est déclarée et l'ordre de mobilisation affiché le 1er août. LES LORRAINS ET ALSACIENS SONT INCORPORÉS D'OFFICE DANS L'ARMÉE ALLEMANDE, CE SONT LES "MALGRÉ-NOUS". Quel n'est pas leur déchirement de se voir obligés de monter au front où immanquablement ils vont se retrouver en face d'autres lorrains, d'autres alsaciens.
Des frères vont tirer sur des frères …
Ayant fait son service dans le génie c'est là qu'il est envoyé, de Trèves vers Dudelange puis Thionville puis Metz et la France comme pionnier de la Feldkompanie, 10e Division, 3e corps d'armée. Quand le front se fixe après les premières offensives, il est envoyé dans la région de Verdun.
220.000 alsaciens sont envoyés en première ligne comme chair à canon.
Joseph se retrouve en Argonne, il n'a pas de nouvelles de ses frères qui sont dans le camp français. Il décide alors de se mutiler, prenant un grand risque à une époque où on ne connait pas les antibiotiques.
Il n'en dit rien à sa famille à laquelle il écrit: "14 novembre 1914, j'ai été blessé le 3 dans la nuit au cours d'un dur assaut qui coûta à notre compagne près de cent hommes. Je m'en suis tiré avec une balle au travers le pied gauche. J'ai passé toute la nuit dans la forêt. Le 5 au soir je suis arrivé à l'ambulance de Strasbourg…"
Il se trouve à l'hôpital de Strasbourg où le médecin alsacien comme lui, va tout faire pour retarder sa remise sur pieds. Il peut y voir son père, Offendorf n'est qu'à une trentaine de km. Mais la supercherie est vite découverte et une fois guéri il rejoint le 27e bataillon de pionnier à Trèves le 12 mai 1915 alors que l'Alsace vit des jours de plus en plus difficiles emplis de réquisitions et de mobilisation forcée des jeunes de 17 ans.
LIÈGE 1916
En 1916, Joseph est envoyé à Liège au Hafenamt, le bureau allemand du port où il est chargé de superviser les transbordements de gravier des péniches de la frontière hollandaise vers le front.
Il se familiarise avec la région et après un temps de méfiance, se lie d'amitié avec les mariniers du coin à qui il offre des surplus de nourriture allemands.
Il en profite pour accomplir des actes de sabotage, mais toujours sous le couvert d'accidents. Il incite un batelier à forer un trou dans sa péniche, puis afin semble-t-il d'éviter un autre bateau, il précipite le remorqueur Richard Otto contre une pile du pont.
Mais il rêve de faire mieux.
Il fait la rencontre de Jules Hentjens, pilote du remorqueur Atlas V. Les deux hommes se connaissaient déjà avant la guerre et partagent la même haine de l'occupant. Ils échafaudent un plan; fuir ensemble vers la Hollande.
Mais ce ne sera pas facile, les allemands ont tendu un câble électrifié à la frontière à hauteur de Lixhe. Il fait 3 cm de diamètre et des sentinelles sont postées sur les deux rives. En outre les allemands sont en train de construire le viaduc qui passe au-dessus de la Meuse, et un pont de service en bois en barre en partie le passage.
Les candidats au voyage, ils seront une quarantaine, sont recrutés, entre autres par le commissaire Jean Lejeune (fusillé en 1917) et Jean Thonnard, professeur aux Beaux-Arts de Liège.
Outre Jules Hentjens et Jean Thonnard, on retrouve un ingénieur, Paul de Pollignies, et bien d'autres. Joseph aimerait aussi emmener ses deux frères à qui il parvint à faire remettre de faux papiers.
La date choisie sera celle du 2 décembre et le moyen de transport sera le remorqueur Anna un bateau de 20 mètres sur 5 qui fait souvent la liaison Visé-Liège et dont Joseph connait bien l'équipage que de Pollignies invita à prendre un verre devant le bureau de l'Haffenaut à Liège alors que Zilliox cachait des armes à bord.
Le 3 décembre 1915, Zilliox a donné ordre à l'équipage d'amener le remorqueur à Visé, mais des passagers manquent et de plus l'Anna n'est pas du bon côté, il est dans le canal de jonction plutôt que sur le quai du Halage. Les passagers doivent se regrouper pour la nuit. I
ls se retrouvent dans une maison en face de l'Hôtel des familles , chez Cardols au 67Rue de Tongres, un café où loge un allemand. L'aventure est risquée; 40 personnes alors que la ville est désertée ne manque pas d'attirer l'attention des sentinelles.
La nuit tombée, les passagers vont rejoindre le quai en passant par l'arrière de la maison et via le sentier de Goirhé. Zilliox a enivré les soldats allemands de l'Anna da ns le café Leben-Massin 48 rue des Ecoles, à deux pas du bateau.
Dans un café d'abord, puis en leur offrant des bouteilles de cognac, il a mis du soporifique dans la dernière. A bord les soldats dorment.
Reste une énigme, le fleuve sera-t-il profond assez ? Zilliox et Thonnard vont vérifier, se faufilent près de la maison de l'éclusier et sondent avec une perche: 2,24 m, le tirant de l'Anna est de 1,90 m. Ça passe ! Tout juste.
Le bateau est amarré en face du café du quai.
Les passagers montent à bord. Les amarres sont larguées.
Un soldat se réveille, il est vite maitrisé et sous la menace d'une arme doit mettre le bateau en route, faire chauffer la chaudière et monter la pression.
Zilliox prend trois barques des péniches voisines, il les accroche à l'Anna. Dans la cale, les passagers doivent être silencieux
Nous sommes le 5 décembre 1916, il est 6 heures.
La circulation est interdite avant cette heure, le bateau démarre enfin.
Dans le sas de l'écluse qu'ils ont ouverte, un remous fait déborder le bateau qui écrase une des barques, les sentinelles allemandes n'y prêtent pas attention. Il faut s'engager dans le chenal à gauche et passer sous le pont de service qui sert pour la construction du viaduc de chemin de fer (le pont des allemands), lentement, c'est étroit à peine 5 à 6 mètres de large entre les pilastres.
Ensuite à toute vapeur, il s'élance à pleine vitesse. A 6h27, le remorqueur atteint le câble électrifié qu'il brise d'un coup sec dans une gerbe d'étincelles.
"Sales Prussiens, tirez dans le dos si vous osez !! Vive la France" crie Zilliox.
Mais l'hélice s'enroule dans le câble qui casse le gouvernail… Les sentinelles éclairent le bateau mais ne tirent pas sur l'Anna qui s'échoue dans les eaux belges près de la frontière.
Il faudra encore une heure avec les barques pour emmener les passagers sur la rive hollandaise, quarante hommes et deux femmes, des jeunes qui veulent rejoindre l'armée, des prisonniers français évadés, des patriotes.
Les soldats allemands furent relâchés et retournèrent en Belgique où ils furent jugés, d'abord condamnés à mort ils furent acquittés et expédiés sur le front; Zilliox avait contacté le Consulat allemand de Maëstricht pour signaler qu'il les avait faits prisonniers.
L'éclusier Duckers d'abord inquiété fut relâché au bout de cinq jours et la tenancière du café n'eut pas d'ennuis. Devant-le-Pont était envahi de patrouilles allemandes qui firent des perquisitions, en vain.
Il aurait pu s'en tenir là mais il revint en Belgique ! Son objectif était de rejoindre les rangs de l'armée française.
Mais on se montrait assez méfiant à son égard, après tout c'était un transfuge. Hentjens parvint à le faire entrer dans la résistance, le mis en contact.
Le commissaire Lejeune de la 5e division lui fournit une fausse carte d'identité et sa mission va être de surveiller les convois allemands sur le rail et de collecter un maximum de renseignements.
Joseph loge près d'Angleur, il repasse encore en Hollande pour donner les informations, échappe de justesse à son arrestation en maitrisant des soldats. Il revient et s'occupe de la surveillance des troupes ennemies transportées par rail.
Le 30 mars il rejoint Liège. Mais un réseau de résistance est démantelé, l'étau se resserre mais il ne tient pas compte des avertissements.
Le 11 avril 1917, trahi, il est arrêté. Il tente de s'enfuir, se bat avec l'énergie du désespoir, il est blessé et emmené. Il est interrogé brutalement, transféré à la prison St Léonard. Le 6 juillet il passe devant le tribunal de Liège qui le condamne deux fois à mort pour désertion et trahison.
Il écrit dans ses lettres : " Le 6 du 7e mois 1917, j'ai été condamné deux fois à la peine de mort. Je suis très fort en Dieu. Ce que j'ai fait c'est pour l'Alsace et pour la France, auxquelles vont toutes mes pensées. C'est pour cela que Dieu, je l'espère, me recevra dans son paradis…" C'est un aumônier allemand qui le réconfortera. Il écrira plusieurs lettres qui ont été publiées. Le 22 juillet, il est transféré à la caserne de la Chartreuse à Liège.
LE 23 JUILLET 1917 À 5H30, JOSEPH ZILLIOX EST FUSILLÉ…
La guerre terminée, Joseph Zilliox fut cité à l'Ordre de l'Armée française: "D'origine alsacienne, s'est donné tout entier à la France. Modèle d'abnégation et de bravoure, n'a cessé de faire preuve du plus pur patriotisme. Tombé aux mains de l'ennemi, s'est imposé à l'admiration de tous par son énergie et son courage. Est mort en Héros" Au Grand Quartier Général le 12 juillet 1919. Le Maréchal de France, Commandant en chef les Armées françaises de l'Est. PETAIN "
La citation proposait de faire Zilliox Chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume.
La Belgique le fit Chevalier de l'Ordre de Léopold avec liserés or, par A. R. du 12 janvier 1920.
La Croix de Guerre belge lui fut remise, sur citation du Général Baron Jacques de Dixmude. Le 6 juin 1920, sa dépouille fut ramenée avec les honneurs militaires à Offendorf. Tout ce que la région compte comme autorités, toutes les associations et plusieurs généraux était rassemblés.
Sa décoration de la Légion d'Honneur fut remise à son père par le Général Fetter.
Les clairons sonnèrent et les tambours battirent. Deux plaques, disparues lors de la seconde guerre, furent placées, l'une sur l'église du village, l'autre sur sa maison qui fut remise en 1994, la rue porte son nom.
Un musée de la batellerie rappelle son héroïsme
JULES HENTJENS.
Le complice de Zilliox, avait aussi prévu de partir mais retarda son départ à cause de la grossesse de son épouse.
La police allemande était sur ses traces. Il renforça le remorqueur Atlas V avec des tôles et de Liège partit avec 107 passagers dans la nuit du 3 janvier 1917, ayant aussi comme pilote Charles Balbour qui mourut en 1924.
Essuyant le feu des allemands qui tentèrent de le poursuivre, l'eau étant très haute le remorqueur accrocha et brisa en partie le pont de service et le nouveau câble et arriva à Eijsden en Hollande.
Les allemands renforcèrent leur dispositif, toute fuite de ce côté devint impossible.
L'Atlas V fut donné comme nom à un pont de Liège, et fit aussi l'objet du film: "Passeurs d'hommes"
L'histoire liégeoise retint Hentjens et l'Atlas V, … et oublia Joseph Zilliox.
Il n'y a plus de trace de son aventure et de son sacrifice.
L'ancienne écluse a été rebouchée et forme une esplanade sur laquelle la Capitainerie a été construite et le bassin a fait place à un port de plaisance.
Le conseil communal de Visé a accepté à l'unanimité fin septembre 2016 ma proposition de donner à ce lieu celui de PORT JOSEPH ZILLIOX et des panneaux y ont été placés et offerts par l'initiateur du projet.
En 1967 les deux bateaux, leur pilotes et passagers avaient été traités sur pied d'égalité lors des commémorations, mais 50 ans plus tard, seul l'Atlas V était encore un peu présent dans les mémoires, il était important de rappeler Joseph Zilliox.
Marc Poelmans
Des ouvrages sur le sujet:
Un Héros Alsacien Joseph Zilliox E. Fauquenot, Paris 1920
Deux hommes du Ried Nord, Société d'histoire et d'archéologie du Ried Nord 2003
Journal "La Vérité" relation par J. Thonnard en 1920, BNB
Les journaux à l'époque feront état de sa mort
Le Journal de Liège et de sa province en décembre 1918
La Métropole, journal d'Anvers en 1917 à Londres.
Le XXe siècle, journal d'union et d'action catholique 1917
Het Vaderland en décembre 1917.