La Tamponne ________________________ ( à lire avec modération )
Au quai , Logistique , vendredi soir.
Je suis de quart jusqu'à 08h00 demain matin mais ensuite je prendrai le train pour rentrer à la maison en permission pour le week-end.
Il est passé 20h00 et je suis à la cantine avec les autres . J'ai déjà bu 3 chopes avec eux quand le haut-parleur appelle :
" Electricien de quart , à la coupée ! "
C'est le 1MC des fournitures qui est de corvée.
Les officiers ont organisé une réception au wardroom . Le steward est seul et il a besoin d'aide.
Le chef me dit de m'habiller avec pantalon de la tenue n°2 et chemisette blanche FN.
Puis il regarde mais chaussures. Je les regarde aussi. Elles sont ternes. Cà fait des semaines que je ne les ai plus cirées. C'est mes souliers , de la maison , ils sont plus confortables pour travailler que les bottines ABL.
" Il faut cirer vos souliers , me dit-il , bien les cirer ."
Puis il me regarde le menton , à gauche et à droite. A 18 ans , la barbe ne me pousse pas vite.
"Cà va. Aller vous mettre en tenue et présentez-vous au wardroom. Le steward vous attends."
Je descends au poste d'équipage et ...je râââle...Cette corvée me fait chi..à l'avance.
Je déteste les officiers . Ils se pètent la tête , méprisants envers les matelots. On est des mandayes pour ces messieurs. De toute leur caste , il n' y a que le commandant sur qui j'ai un doute. Je n'ai jamais eu à faire à lui , et donc , je ne le connais pas. Il est en sursis .
Et un lieutenant , un barbu , sympa. Plus tard, en garde-pêche , il viendra souvent à la cantine-matelot , invité par les matafs flamands. A se biturer avec nous en chantant :
" My Bonnie is over the seas."
Pour lui , il y avait plus d'ambiance avec nous qu'au wardroom.
Et pourquoi toujours l'éléctricien ? Il y en a d'autres.
Les mécanos , tiens !. On est sur le courant du quai , il n'y a pas un seul diesel qui tourne.
Ils sont à la cantine en train de boire leurs pintjes.
Avec certains chefs , c'est comme si l'électricien est en surnombre et , dès lors , bon pour être la bonne-à-tout faire...
Je râââle en cirant mes souliers ...
Je râââle en montant l'échelle de la cafet' pour aller au pigeonnier des officiers.
J'arrive au pantry du wardroom. Le steward est là. Un grand blond , un flamand mais il parle français mieux que moi. Il est de Gand. Il me regarde de haut en bas en souriant et me dit :
"Et où tu vas comme çà ? Au casino d'Ostende ?"
Je lui dis en tournant sur moi-même :
"C'est le chef qui m'a dis , hein ? Je me suis mis sur mon 31. Plus steward que moi , on meurt."
Il rigole :
"Mais tu ne vas pas être steward , man. Tu vas seulement laver les verres et les assiettes !"
Je m'en doutais bien un peu que je ferais la plonge...
Je regarde par le passe-plats qui est ouvert. Le cdt et le second sont là. Et deux femmes qui parlent entre elles.
La longue table du mess est recouverte d'une nappe blanche avec dessus des assiettes pleines de chips et d'amuse-gueules. Je demande :
" Ils vont dîner ? "
Le steward fait non de la tête :
" C'est un cocktail. Pour les officiers présenter leurs épouses , ou compagnes ou petites copines au commandant. S'ils veulent dîner , ils iront au restaurant en ville. En bas, il n'y a plus personne à la cuisine. "
Le steward prend alors une coupe à cocktail évasée et fragile, et me dit :
" Içi , c'est pas comme en-bas la cafétaria , hein. "
Il met le verre près du tube fluorescent.
"Il faut laver les verres transparents comme çà. Autrement , c'est le cigare du second pour un verre sale...Et les assiettes aussi , man , pas laisser des traces..."
Puis il ouvre une petite armoire montrant des essuies blancs bien pliés , bien rangés , bien propres.
" Tu n'hésites pas à prendre des essuies s'il le faut. Et aussi à changer l'eau des éviers."
"C'est quand on lave avec de l'eau sale et des essuies sales qu'on ne parvient pas à avoir les verres propres ..." disti en me regardant de côté , en rigolant.
Logique...
Puis il me demande :
" Tu prends un verre ? C'est pas défendu mais que le second ne te voie pas , hein ?"
Je n'ai pas le temps de dire oui , il prends déjà une longue flûte dans le " bar ".
" Je vais te faire un cocktail , quelque chose de nouveau , çà donne de l'énergie ! "
Il verse un liquide vert dans la flûte , 2 glaçons , arrose de vodka , touille dedans avec une spatule et me passe le breuvage.
Je demande :
" C'est quoi ce truc ?"
" Ginseng-tonic , çà vient d'Asie..."
Je goûte , c'est sec à cause de la vodka et çà à une saveur d'herbe fraîchement coupée.
"Casse pas la flûte , il me dit , je n'en ai pas beaucoup et elles sont coûteuses "
Des bruits de pas et des voix se font entendre dans la coursive.
Silver-fox et deux lieutenants de vaisseau avec leurs compagnes. Mini-robes en satin , bijoux aux oreilles et aux doigts , manteaux fourrures trois-quart , parfums entêtants qui envahissent la coursive et le pantry.
Le steward va au devant des femmes pour les débarrasser de leurs fourrures. et le groupe entre au wardroom. Présentations au cdt et au second , rires des femmes. Le steward s'approche d'eux pour prendre les commandes.
Je vois le second qui me montre de la tête au steward , qui fait oui en me regardant.
Le steward prend les commandes et revient au pantry. Il ferme les deux portillons du passe-plats .
Evidemment , il faut cacher l'esclave...à la plonge.
Le steward prépare les drinks et file au wardroom avec son plateau.
D'autres arrivent par la coursive.
Des lieutenants avec leurs compagnes. Des femmes jeunes , en mini-jupes , mini-robes , fourrures , bijoux , brushings , escarpins à haut-talons aiguille , parfums envahissants. Très kitch ce monde.
Toutes me sourient en passant devant la porte du pantry.
Deux ou trois seulement sont skettebrayette , deux sont boudinées dans leurs robes moulantes , les autres sont passe-partout.
Le steward les débarrasse de leurs fourrures entassées sur son bras et entre dans ce que je crois être une cabine pour les y déposer. Son vestiaire...
Moi , j'attends la vaisselle en terminant la flûte. Je la plonge dans l'eau savonnée et la rinçe dans l'autre évier. Puis avec un essuie tout propre , j'essaie de l'avoir transparente.
Le steward entre dans le pantry , pressé , avec un verre plein sur son plateau .J'approche la flûte du tube au néon, il y a des traces.
Il me dit :
"Attends , je vais te montrer." en prenant la flûte.
"Tu prends le verre , tu laisse glisser un coin de l'essuie dedans , tu tasses un peu et tu tournes dans un sens puis dans l'autre en le retirant lentement."
Puis il l'approche du néon et dit :
"Voilà ! Impeccable !"
Puis , il met le verre plein devant moi.
"Tiens. Le capitaine n'y a pas touché. Il n'aime plus le Johnny Walker."
"Il sait qu'on a reçu celui-là."
Et le steward me montre une bouteille avec un liquide ambré. Je lis l'étiquette.
Bourbon whisky - american blend.
J'avale une petite gorgée du verre refusé.
"Bin ? c'est bien le Johnny Walker ."
Le steward sort des verres droits et étroits , il y verse de la vodka puis un liquide vert dans un, un liquide rouge dans un autre. Il prend une autre bouteille en verse dans un 3ème verre, un autre liquide orange suit. Il prend des rondelles de citrons , les fiche sur les bords des verres mets des glaçons dans les trois.
Ce n'est plus un steward mais un barman hôtel 4 étoiles expert en cocktails.
Je lui demande :
" C'est quoi ces breuvages ?"
Tout en préparant des whiskies , il me les montre :
" C'est pour les femmes. Le vert , c'est un Daikiri-menthe. Le rouge , Daikiri-grenade. . Et le jaune , un Gin-Fizz. Du Gin avec jus d'orange."
Il fait des whiskies secs et d'autres whiskies-soda on the rocks. Les officiers ne carburent pas à la bière mais aux alcools...
Son plateau plein , il s'en va au wardroom .
Par la coursive , j'ai des échos de brouhaha des blablablas... Rires des femmes. Rires des hommes...
Je vide mon verre et je le lave. je l'ai presque aussi transparent que le steward...
Lui , il revient avec des assiettes et le plateau avec des verres vides. Il mets les verres dans l'évier d'eau savonnée et me dit :
"Tu veux pas remettre des chips et des croquettes sur les plats , s'il te plaît ?"
"Les sacs sont sur le buffet , là..."
Je remplis les assiettes pendant qu'il prépare les drinks. Il prend une flûte et y verse le liquide vert. Je lui dit :
" Celui -là , je connais. C'est le Ginseng-tonic !"
Il me répond :
"Oui , c'est çà. Tu en veux un ?"
"Bin....Oui ! "
Il me fait le breuvage et je le cache dans le coin des éviers.
"Mets les plats sur la tablette du passe-plats , et il ouvre le locquet , j'ouvrirai le portillon et tu le refermes ensuite. Sinon , je dois faire le tour par la coursive."
La soirée s'avance...
Je lave les verres bien transparents maintenant. La flûte aussi.
Je suis avec un whisky bourbon soda on the rocks...caché dans le coin.
Une ombre se dessine à la porte. Je tourne la tête.
C'est le chef de quart. Il me dit :
" Dites , électricien , il est 22h30 et vous n'avez pas mis l'éclairage de nuit dans les coursives ! Vous êtes en retard d'une demi-heure déjà !"
Tchâle !
L'électricien...Manquement dans son service et en état d'ivresse pendant le quart . Cà va me faire des jours de balles !
Je dois déjà avoir les yeux vitreux et la langue engourdie mais j'essaie de me dépatouiller.
" C'est parce que j'ai beaucoup de travail içi, chef . Comment je fais pour aller mettre l'éclairage de nuit ?"
Le steward a entendu et vient à la rescousse . Il dit au chef qui est un flamand :
"Ik heb hem nodig , chief. Alleen , kan ik niet met het dienst."
Le chef :
"Ja , maar toch. Het neemt maar een tien minutjes om de lichten te draaien."
Moi , j'en remets une louche :
"Ah non , chef. Je dois aller partout sur le bateau, hein. Sur tous les ponts , et de l'avant à l'arrière. J'en aurai pour un quart d'heure , vingt minutes..."
Ce qu'il y a de bien , quand çà devient technique , c'est que les gens ne savent pas et , dés lors , ils hésitent.
Le chef au steward :
" Zaal het gaan ?..een kwart uur ?"
Le steward prend un air très embêté :
" Ja , allei ! Maar hij moet zo vlug terugkomen , chief!"
Le chef me regarde , à moitié pensif :
"Bon , aller mettre l'éclairage de nuit , électricien , et dépêchez-vous. "
"Ouais , chef. Je termine de laver la vaisselle et j'y vais."
Il y a un problème. Les boutons des coffres électriques ont une fente pour tournevis et ils sont durs à tourner avec les doigts. La petite lame métallique avec le porte-clefs ( une miniscule poupée toute nue ) que j'utilise est dans mon bleu de travail.
Je prends un décapsuleur qui traîne sur le buffet et je vais sur le coffret de la coursive des officiers. Les néons s'éteignent et les petites loupiotes laissent des ombres rougeâtres.
Il fait frais dans la coursive , la Godasse est à quai mais elle semble rouler lentement. Je vais d'une démarche chaloupée pour contrer le roulis vers l'échelle et descend sur la coursive centrale.
.........
Il est plus de 23h00 quand je reviens au pantry.
Le steward a laissé une dizaine d'assiettes dans l'évier et changé l'eau. Des verres vides avec des fonds de whisky sur l'égouttoir .
Dans mon coin caché , il y a une coupe à cocktail évasée , pleine. C'est rouge dans le fond , jaune au milieu et vert au-dessus avec des glaçons et une cerise fendue fichée sur le bord.
"C'est pour toi ."
Le steward fait irruption dans le pantry avec son plateau plein de verres à demi-vides.
"Aide-moi à laver cette vaisselle , après tu peux aller dormir... Ils s'en vont. ...Moi , je fais le ménage au wardroom."
Et il file dans la coursive. Après la cocktail-party , il s'en va en week-end alors il ne traîne pas.
J'avale la coupe multicolore. Le vert a une saveur à épinards...Cà m'étonne un peu...Le jaune , on dirait de l'abricot et le rouge , c'est sûr , c'est du kirsch...Puis je le mets dans l'évier. L'embêtant c'est que pour savourer les saveurs de ce cocktail , il faut lui faire cul-sec.
Je lave la vaisselle aussi bien que le steward maintenant. Et il a été sympa celui-là.. Aussi , je vide les éviers et je les récurent bien propres.
Je suis pris d'un petit besoin pressant. Je sors dans la coursive mais toutes les portes sont fermées. Les aménagements des officiers je ne connais pas. J'en ouvre une et j'entre.
Une grande pièce avec des bois lambrissés et vernis sur les cloisons . De la moquette épaisse et au milieu , un grand lit king size ou alors c'est moi qui le voit king le size
C'est le vestiaire... les fourrures des dames qui sont encore au wardroom sont étalées sur le lit. A gauche , sur la cloison , les portraits du roi Baudouin et Fabiola , elle ,en blanc avec son col en peluche. Cà fait deux mois que je suis à bord , je n'avais jamais vu les appartements royaux...
Le steward passe dans la coursive en coup de vent puis revient sur ses pas.
"Qu'est-ce que tu fais là ?"
"Je cherche les toilettes..." Le steward me montre une autre porte du doigt :
" C'est là " puis il s'inquiète :
"Cà ira pour retrouver ton pieu. Je crois que tu es bien starté"
Je lui dit en montrant l'ombre de la coursive :
"Ouais ? Ouais ?L'arrière c'est par là ..!.! "
Le steward prend des fourrures et disparaît dans le wardroom.
J'ouvre une porte , c'est une cabine des officiers !
Je me dis que flûte j'irai dans les toilettes matelots en-bas.
J'arrive dans une coursive transversale. Là , je suis en terrain connu. A gauche , il y a le workshop electric , donc , à droite , il y a l'échelle qui donne sur la coursive centrale.
La Godasse roule à quai , c'est sûr , je vais en zizaguant dans la coursive pour compenser le roulis.
En haut de l'échelle , je n'hésite pas . Je ne me laisse pas glisser , je me ratatinerais en-bas. Je descends prudent en me tenant à la main courante.
En arrivant à la porte de la cloison étanche arrière , je me mets de biais pour franchir le surbau un pied d'abord puis l'autre.
J'arrive aux toilettes matelots pour un dernier pipi. Ensuite , je suis prudent dans la descente vers les postes d'équipage.
Ils sont déserts , tout le monde est parti en week-end.
Au 1x12 BB , il y a un mécano flamand à gauche dans le coin , la couchette du bas. Il dort. A droite , dans le coin près du bordé , la couchette du haut , il y a un matelot VC. Orphelin de mère , il s'est disputé grave avec son père , et il n'a plus de chez lui. Il reste à bord les week-ends.
Il squatte la Godasse...
Je parviens à me déshabiller mais je dors déjà avant de tomber sur ma couchette.
......
Le lendemain , dans le train vers Bruxelles , j'ai le sentiment que ma tête à doublée de volume. Des jets de vapeur d'alcool doivent me sortir par les oreilles...Cà chauffe...
....
En arrivant à la maison , maman me fait des frites avec deux oeufs sur le plat. J'ai faim. J'avale tout.
En me levant de table , je vais vers le fauteuil. Mon coeur bat comme un tambour. J'ai le temps de penser que les frites et les oeufs , c'en est trop pour mon foie. Des petits points noirs envahissent ma vue , un frisson glacé me file le long du dos. Je sombre dans l'inconscience en m'écroulant dans le fauteuil.
.....
C'est une piquette au bras qui me mets une lueur dans la cervelle. J'essaie d'ouvrir les yeux. Le visage du médecin de famille sort du brouillard. Sa voix résonne :
"Alors , la marine. On refait surface ?"
" Mmmzmmz..."
Il me fait une injection au bras.
J'entends ....syncope éthylique, madame....crise de foie aigue...
J'ouvre les yeux. Cà s'éclairçit. Je vois maman , très fâchée :
"Je t"en foutrais des réceptions d'officiers. Je vais téléphoner à l'amiral pour lui dire que c'est honteux de faire boire les garçons ainsi !"
"z'est ma vaute , m'man. z'ai ézazéré..."
Maman est courroucée :
"Tous des ivrognes dans cette marine !"
Le médecin me fait avaler quatre comprimés de Primperan.
Je passe le week-end recroquevillé dans le fauteuil.
La nuit , au lit , je transpire l'alcool.
Cà fait un effet boeuf le Primperan. On a le foie qui gargouille , il fait des bulles et il chatouille en dégorgeant. Aux toilettes , les urines ne sont pas chargées , non.
Elles sont brunes...
....
Le lundi matin, je remonte à bord de la Godasse. Pas encore remis. Je suis vaseux.
Pendant trois jours , j'évite la cantine matelots. Rien que l'odeur de la bière sèchée sur les tables me donne la nausée. Ce n'est que le Jeudi , au soir , que j'ose mouiller mes lèvres dans une chope en buvant à toutes petites gorgées prudentes...
Accueil 
Bin çà , René , c'est encore un truc que j'ai zappé...?
qu'il fallait aller chercher au service quai de la logistique sur un chariot qui roulait mal .bin,que celui là,je m'souviens rené !!!!!
... oups pardon ! 
