Mon passage dans la Royale

En clair, cela signifie que nous allons naviguer " à cul" de ce navire, afin d'assurer la "rescue" des deux membres d'équipage, en cas de crash en mer d'un de ces avions.
Comme il n'y aura pas de veille sous-marine, pendant ces exercices, nous, les DSM, serons mis à disposition des services directement impliqués dans l'opération.
En ce qui me concerne, je serai affecté à la surveillance, à partir de la proue, juste devant la porte étanche, du roof avant.
Nous appareillons à la nuit bien tombée et je me rends à mon poste, aussitôt les passes franchies, comme convenu.
Un "Boeuf" transfiliste m'y rejoint pour m'expliquer ce que j'aurai à faire.
En fait, je n'aurai qu'à veiller et à annoncer, si par malheur cela arrivait, tout plongeon intempestif d'un des avions, dans la mer ?
Pour assurer la communication avec lui, qui sera sur la passerelle ouverte, il faudra que j'utilise le Talki-Walkie qu'il me confie.
"Tu me contactera toutes les 15 minutes", me dit-il.
Puis, il me donne quelques consignes :
         - Préviens-moi aussitôt de toute anomalie.
         - Laisse la porte étanche bien fermée et ne l'ouvre sous aucun prétexte ; sauf autorisation.
         - Croche le mousqueton de ta Mae-vest dans la barre de sécurité, si la mer devient mauvaise.
         - Etc...
Et il me laisse.
Nous naviguons par une nuit sans lune et c'est bien la première fois que je vais faire la "croisière des Salins", sur un pont, de nuit.
Tiens voilà des feux, droit devant nous.
Dans l'obscurité je distingue une grosse masse, un peu floue, mais c'est bien l'Arromanches, à n'en point douter.
Mon Dieu qu'il est gros avec ses 17.000 tonnes ! et dire que nous n'en faisons que 1.750.
A tout hasard, je signale ma découverte ; il y a bien longtemps que les radars ont du se faire une idée sur la question, mais discipline, discipline...
Nous prenons son sillage pour assurer notre mission de "traine-cul".
En ce qui me concerne, je commence à goûter aux joies des "mouille-cul" (Ah, le 505 !).
Même si la mer n'est pas bien agitée, avec la vitesse qu'il faut soutenir, les embruns m'assaillent, me trempent et me glacent jusqu'aux os.
Pas la moindre chose pour me protéger et, du reste, il faut que mes yeux aient le champs libre.
Heureusement, encore, que j'ai empilé les couches de vêtements : 2 pulls col roulé, 1 vareuse de drap bleu marine, 1 blouson de mer, 1 bonnet de mer et la capote de l'armée de terre que le "Boeuf" a eu la bonté de ma prêter.
Comme quoi, il vaut mieux être prévoyant ; surtout en janvier.
J'en suis là de mes réflexions, quand le premier client s'annonce.
Sa venue a quelque chose d'irréel ; ce n'est pas du tout le bruit auquel je m'attendais.
C'est comme le mélange d'un ronronnement très doux et d'un froissement très délicat de l'air.
Je pense, alors, que l'on ne pouvait rêver meilleur nom de baptême qu'Alizé, pour cet avion.
Il vient de derrière et passe juste en dessus de nous pour se poser tout en douceur ; du moins, à ce que j'en vois, à travers le faible halo lumineux du bord d'attaque de la piste.
Je suis sous le charme et celui-ci va durer de bien longues minutes ; du coup j'en oublie presque le froid, mais pas les consignes : allo, allo !!!
Par deux fois, le "Louffiat" de service, viendra me porter un quart de café bien chaud ; merci "Louffiat" !
Ce petit ballet va durer pas mal de temps ; puis, tout à coup, tout s'arrête.
"Tu peux rentrer maintenant, tout est terminé", me dit mon Boeuf ; "Attends-moi dans la coursive, j'arrive".
Ouf ! Quand même ; vivement Toulon, le quai Noël et mon hamac bien chaud.
En fait, je garderai un souvenir inoubliable de cette expérience et une tendresse toute particulière pour ce gros canard, un peu pataud et lourdaud, qu'était l'Alizé.
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